Agnès Martin-Lugand présente l'Homme des Mille Détours:

Agnès Martin-Lugand : Cet homme est au centre de ce roman. Sans lui, sans son histoire personnelle, rien ne pouvait démarrer. Gary est un homme perdu et profondément blessé. Son métier de plongeur scaphandrier lui sert d’excuse pour fuir sa plus grande douleur ; Gary ne peut pas être père, alors que c’est l’un de ses plus grands désirs.

Du haut de ses 45 ans, il est nomade, n’a, jamais ou presque, créé de liens. Un accident de plongée va lui ouvrir les yeux. Une furieuse envie de reprendre sa vie en main le saisit. L’espoir de réussir à construire quelque chose qui le rende heureux l’anime à nouveau. Mais comment peut-il s’y prendre...

Depuis plusieurs années, j’avais l’envie de me centrer de plus en plus sur les personnages masculins, de me glisser dans la peau d’un homme. Le personnage de Joshua dans La Déraison m’a permis de franchir le pas, il m’a aussi donné l’envie de poursuivre cette exploration masculine. Pourtant, lorsque l’histoire de L’Homme des Mille Détours a commencé à germer dans mon esprit, c’est Erin qui s’est imposée à moi en premier. Pour être honnête, j’ai été assez déroutée. Je lui ai fait confiance et c’est elle qui m’a guidée vers Gary.

Comment décririez-vous le personnage d’Erin ?

Erin est une femme forte et fragile, qui s’est endurcie au fil des années et surtout des épreuves. Elle est la mère de trois enfants qui sont tout pour elle. Elle est entourée de ses parents, de son frère, elle tient un bar – L’Odyssée – depuis plus de 17 ans, qui est une extension d’elle-même.

Erin a terriblement souffert. Son mari, leur père, a disparu du jour au lendemain et n’a jamais donné de nouvelles en plus de sept ans. Lorsque le lecteur la rencontre, elle respire à nouveau, elle va bien, elle s’est remise, elle ne sursaute plus, elle a retrouvé une vie, sa vie. Elle n’aspire qu’à la paix et à profiter de ses enfants, de son bar L’Odyssée… Elle vient de décider de mettre ses blessures de côté. Pour elle, le temps du chagrin est fini.

Pourquoi avoir choisi Saint-Malo et La Réunion comme principaux lieux de l’intrigue ? 

Pour écrire un lieu, j’ai besoin de le connaître, de l’avoir éprouvé par mes sens, je dois pouvoir m’y projeter pour le mettre en mots. Saint-Malo est ma ville natale, et j’y vis à nouveau depuis plus de quatre ans, je la connais donc parfaitement. Elle s’est imposée à moi dès les prémices de L’Homme des Mille Détours. Ce n’est pas la première fois que je l’utilise comme théâtre de l’un de mes romans. Mais le Saint-Malo que le lecteur découvrira dans L’Homme des Mille Détours n’est absolument pas le même que celui d’Une évidence. Ici, c’est un Saint-Malo du quotidien, où Erin vit et travaille. Je voulais la mer, partout autour d’elle et de ses enfants. C’est une ville de passage, de voyage, qui peut être rude, âpre, et c’était exactement ce qu’il fallait à l’histoire d’Erin…

En ce qui concerne La Réunion qui est le lieu d’ouverture du roman, j’ai eu la chance de m’y rendre il y a de très nombreuses années, et je me souviens d’avoir été frappée par ce sentiment d’être perdue au beau milieu de l’Océan. C’est un rocher, un caillou, où l’on peut se cacher si l’on fuit quelque chose ou quelqu’un, si on cherche à s’échapper d’une forme de réalité. Et puis La Réunion est un extraordinaire spot de plongée et de recherches sous-marines… Cet endroit correspondait parfaitement à Gary et à son état d’esprit au moment où je l’ai rencontré.

Les récits de L’Iliade et de l’Odyssée sont omniprésents dans l’histoire : comment ces deux récits ont-ils nourri l’écriture de votre roman ?

L’Iliade et L’Odyssée comme fil rouge du roman trouve son origine dans la recherche des prénoms des enfants d’Erin. Mon mari (merci à lui) m’a murmuré le prénom d’Ulysse, argumentant que cela correspondait à Erin et à l’idée qu’il se faisait du père des enfants d’après ce que je lui en avais expliqué. Entendre « Ulysse » a provoqué une déferlante en moi ! Mais bien sûr ! C’était l’élément qui m’échappait. Le bar d’Erin a donc été immédiatement été baptisé du nom de L’Odyssée…

Pour autant, impossible de me contenter de ces deux clins d’œil. Alors, je me suis replongée dans la lecture d’Homère, je l’ai lu et relu sans discontinuer durant toute l’écriture, j’ai aussi cherché des réécritures plus contemporaines, des analyses psychanalytiques du texte d’Homère. Mon idée n’était absolument de placer/ des références à chaque page loin de là, en revanche j’ai laissé mon inconscient saupoudrer le fruit de ces lectures dans le récit, pour réaliser une fois apposé le point final que cette œuvre majeure habitait en creux tout le roman. Et de m’interroger : Qui est véritablement L’Homme des Mille Détours ? Peut-être pas celui que l’on croit…